Qui était Paul Mora, le sculpteur du monument aux morts d’Illats ?


Il ne reste plus beaucoup de traces de cet artiste bordelais, talent prometteur, qui eut les honneurs de la presse de son temps.

Né le 3 octobre 1864 au n° 194 de la rue Judaïque à Bordeaux, il est le fils du sculpteur et statuaire bordelais, Jean Mora, et de Marie Gauthier, sans profession. Il a un frère cadet, Jacques André, né le 26 octobre 1866 probablement à la même adresse. Contrairement à son aîné, il n’a pas de profession identifiée.

Jean Mora (1833-1899), le père, est un artiste réputé à Bordeaux et en Aquitaine, dans la statuaire religieuse. Il réalise de « main de maître » le programme de sculpture dessiné par l’architecte Gustave Alaux pour la reconstruction de l’église Saint Jean d’Estampes de La Brède après l’effondrement de son clocher en 1854. Le nouveau clocher voit le jour en 1864 et les travaux se poursuivent toute la seconde moitié du XIXème siècle. Jean Mora s’illustre trois ans plus tard sous la direction de l’architecte parisien Paul Abadie, dans la rénovation de la flèche de la basilique Saint Michel de Bordeaux. Il réalise la statue de l’Archevêque de Bordeaux Arnaud IV de Canteloup sur l’un des six contreforts qui renforce l’édifice. A la même période, entre 1862 et 1867, Paul Abadie construit également l’église Saint Ferdinand, rue de la Croix-de-Seguey à Bordeaux, et sollicite Jean Mora. Ce dernier sculpte une représentation rare de la Synagogue à l’intérieur du nouveau lieu de culte. Il se serait inspiré de l’œuvre du sculpteur florentin Donatello. Jean Mora réalise des commandes au cimetière de la Chartreuse. On lui doit l’allégorie impressionnante de la mort sur le mausolée Catherineau en 1874 et les médaillons sur le tombeau des artistes de la classe des Beaux-arts élevé en 1877 en l’honneur des artistes peintres bordelais. Toujours en 1877, sous l’influence du cardinal Donnet, le clocher de Notre Dame de Bayon-sur-Gironde est remanié et rehaussé d’une flèche. Jean Mora sculpte la statue de la vierge Marie, pesant 30 tonnes, qui surmonte l’ensemble. De 1895 à 1899, date de sa mort, il exécute le groupe de vierges destiné à la tour sud de la cathédrale de Bayonne, démontrant sa réputation régionale.

Lorsque en 1884, Paul Mora est recensé pour effectuer son service militaire, toute la famille habite désormais au n°28 rue de la Croix-de-Seguey. C’est un appartement bourgeois comportant un étage. Paul ne part pas à l’armée : « Dispensé. Frère au service. » nous dit sa fiche du registre de matricule. En effet, Jacques André, son cadet, est engagé volontaire le 2 novembre 1882 au 2° régiment de chasseurs d’Afrique jusqu’en 1888. Ce dernier a eu semble-t-il une vie aventureuse faite de démêlés avec la justice à Paris en 1891 et de voyages : il est à Lima au Pérou le 20 août 1897, de retour à Paris en 1898 puis à Port of Spain aux Antilles, en 1900.

Nous n’avons pas retrouvé de portrait peint ou de photographie de Paul Mora. Néanmoins, son signalement militaire nous le décrit : il avait les cheveux châtain, des sourcils noirs, un front découvert, une bouche et un nez moyens, un menton rond et un visage ovale. Il mesurait un mètre soixante-cinq.

Il fait une partie de ses études aux Beaux-arts de Bordeaux avant d’être admis aux Beaux-arts de Paris. Il est classé en 1886, premier au grand-prix de sculpture de l’Ecole de Bordeaux et a eu pour premier maître M. Prévot, professeur dans cette institution bordelaise (La Petite Gironde du 23 février 1890). Mora bénéficie le 1er février 1887 d’une pension de 1 400 Fr. pour une première année d’étude à l’école des beaux-arts de Paris. (1) Le 10 janvier 1888, le conseil municipal de Bordeaux lui renouvelle son soutien et sa pension de 1 400 Fr. (2) Le montant de cette pension passe à 1 500 Fr. l’année suivante. (3) Le 18 avril 1888, il habite au n°12 rue de Seine à Paris à proximité de l’Ecole des Beaux-arts située rue Bonaparte. Il continue néanmoins d’exposer à Bordeaux. « M. Paul Mora, sculpteur statuaire (2° année), nous promet un artiste des mieux doués. Il a modelé deux charmantes esquisses et une figure d’homme qui affecte presque les proportions d’une statue (elle a plus d’un mètre). Ces travaux dénotent la science et la maestria d’un artiste plutôt qu’un élève. » (La Petite Gironde du 22 décembre 1888). Le 14 mars 1889, il est domicilié quai Voltaire, toujours dans le même secteur de la capitale. Et participe de nouveau à l’exposition annuelle des Beaux-arts de Bordeaux. « Un seul élève sculpteur, M. Paul Mora – encore le mot d’élève, pour lui, n’est-il plus guère de mise. M. Paul Mora en est à sa troisième année d’école, et les plâtres qu’il expose une Femme nue, un Enfant nu et une Tête de vieillard, montrent clairement qu’il est de taille à voler désormais de ses propres ailes. » (La Petite Gironde du 22 décembre 1889). Le 14 avril 1890, il loge au n°6 rue Saint Siméon à Paris. La Petite Gironde lui rend encore hommage dans sa rubrique « Nos artistes » en date du 23 février 1890 en soulignant qu’il « vient d’obtenir à l’Ecole des Beaux-arts un deuxième prix au concours du premier semestre. Mora, ex-pensionnaire de la ville de Bordeaux, fait partie de l’atelier Falguière (4) […) ». Le 28 mai 1891, il est domicilié au n°3 rue de l’abbaye et le 10 février 1894, au n°12 rue de Notre Dame des champs. Mora continue de s’illustrer dans son cursus aux Beaux-arts. Il est désigné à deux reprises pour prendre part au deuxième concours d’essai « en vue du prix de Rome (section de sculpture) » : en avril 1892 (Le Soir du 9 avril 1892) et en avril 1893 (La Gazette nationale 10 avril 1893). Sur le catalogue de l’exposition de l’Atelier – association qui réunit tous les artistes bordelais – d’avril-mai 1906, il se présente comme « élève de Falguière », le grand professeur des Beaux-arts de Paris.

Le 23 août 1900, il est rentré à Bordeaux au 28 rue Croix-de-Seguey. Peut-être est-il revenu dans sa ville natale après le décès de son père en 1899 ? Paul Mora montre certaines de ses œuvres dans le cadre de l’exposition annuelle de l’Atelier de 1906, 1907 et de 1908. Il a probablement été exposant d’autres années mais nous n’en avons pas retrouvé trace. Qu’exposait-il aux yeux du public ? En 1906, l’amateur d’art pouvait contempler et acheter : la statue en pierre du Jeune Frondeur, un buste de vieillard, l’esquisse d’une fontaine en plâtre, une fantaisie intitulée Le baiser, une esquisse intitulée Le printemps, une autre esquisse intitulée L’hiver, un bas-relief et des esquisses diverses. En 1907 (une esquisse est simplement indiquée) et en 1908, Mora est moins présent dans le catalogue : deux têtes décoratives (L’eau et Le feu), un groupe (Deux âges ) qui est encore une ébauche d’atelier et une esquisse.

On n’a pas retrouvé de créations artistiques de Paul Mora dans les années précédant la Grande Guerre. La déflagration du premier conflit mondial est considérable dans la société française. Bien que victorieuse, la France déplore 1, 4 million de morts et 3, 5 millions de blessés. A partir de 1919, le gouvernement encourage toutes les municipalités du pays à construire des monuments pour rendre hommage aux morts dans chaque ville et village. La Gironde et tous ses départements voisins s’inscrivent dans ce mouvement national. Un marché se crée avec ses commandes artistiques.
Paul Mora est sollicité et son nom apparaît dans la réalisation de bons nombres de sculptures sur les monuments de Gironde et de Charente maritime.

On a l’impression qu’il a relancé sa carrière grâce à cet élan de commémorations. Entre 1921 et 1922, Paul Mora intervient dans la construction des monuments aux morts suivants (liste non exhaustive):
• Saint Dizant-du-Gua en Charente maritime où il présente un projet de statue en haut relief d’un « soldat du droit, de la justice et de la liberté terrassant la force brute » (inauguré début 1921) ;
• Loupiac où il représente sous les traits d’une femme, la France recueillant le poilu, son libérateur (inauguré le 25 juin 1922) ;
• Moulis-en-Médoc où il réalise le coq et la tête d’un soldat en bronze (inauguré en 1921) ;
• Saint Ciers de Canesse : « Pour ce monument, le sculpteur P. Mora prend le parti de représenter un poilu gravant au sommet d’une colonne les noms des grandes batailles de la première guerre mondiale, Marne, Yser et Verdun. » C’est « une représentation originale. » (inauguré le 21 août 1921) ;
• Mérignac où il représente un « poilu assis regardant derrière lui une femme (victoire) tenant un rameau d’olivier. »
Toutes les citations sont tirées du site www.monumentsmorts.univ-lille.fr

Le monument aux morts d’Illats, plus tardif, présente des similitudes avec celui de Moulis-en-Médoc.



Bronze représentant un poilu sur le monument aux morts de Moulis-en-Médoc



La même représentation sur le monument aux morts d’Illats. Paul Mora a réemployé ses moules…

L’œuvre commémorative de Paul Mora ne se limite pas aux monuments aux morts communaux. « A l’école Saint Genès, la direction générale des travaux d’aménagement et de construction est confiée à l’architecte André Bac. Il dirige le projet de monument conçu par le sculpteur Lagrange et l’architecte Adoue d’après les dessins de Mora ; le mémorial est inauguré le 7 mai 1922. » (5)
Paul Mora est une célébrité locale. Il offre à la loterie du gala de la presse au Grand-Théâtre une de ses œuvres d’art, selon La Petite Gironde du 19 janvier 1924.
Il apparaît dans la liste des sociétaires de L’Atelier dans le catalogue de son XVème salon du 4 décembre 1924 au 4 janvier 1925. Mais il n’expose pas.
Paul Mora est véritablement entré dans la postérité en 1931, lorsqu’il sculpte des copies des muses et des déesses du Grand Théâtre de Bordeaux usées par le temps.



Muses et déesses du Grand Théâtre aujourd’hui

On retrouve sur son acte de naissance la mention d’un mariage tardif contracté le 12 mars 1932 à Bordeaux avec Emilie Françoise Dubouch, employée de commerce « Chez Angèle », née le 4 avril 1887 à Condom dans le Gers.
Il fait encore partie des sociétaires de L’Atelier dans le catalogue de l’exposition de 1937 et est toujours domicilié au 28 rue de la Croix-de-Seguey. Toutefois, nous ne savons pas quand et où Paul Mora est décédé et s’il a eu une descendance. Nous ne sommes pas parvenus à retrouver les actes d’état civil qui auraient pu nous donner ces renseignements.
(1) Bordeaux 12 D 98. Délibération du Conseil municipal, séance du 1er février 1887, f° 31-33, école des beaux-arts de Paris, bourses et subventions : « (…) à Paul Mora, élève sculpteur, lauréat du concours en loge pour le 1er grand prix de sculpture à l’école municipale, une 1ère année de pension de 1400 francs (…) ».

(2) Bordeaux 12 D 100. Délibération du Conseil municipal, séance du 10 janvier 1888, f° 47, école des beaux-arts de Paris, bourses et subventions : « (…) M. Mora, sculpteur de 2e année, a envoyé une étude modèle sur nature et une esquisse qui dénotent d’heureuses dispositions que nous avons pour devoir d’aider à développer (…) bourse de 1400 francs ».

(3) Falguière Alexandre (né à Toulouse le 7 septembre 1831 et mort à Paris le 19 avril 1900) sculpteur et peintre, lauréat avec Léon Cugnot du premier grand prix de Rome de sculpture en 1859. En 1882, il est nommé professeur à l’école des Beaux-arts de Paris et élu membre de l’académie des Beaux-arts. Jules-Ernest Bouillot, sculpteur et praticien de Falguière lance l’idée de faire construire des ateliers et de les louer aux artistes. C’est la création de la Cité Falguière dans le XVème arrondissement.

(4) Bordeaux 12 D 101. Délibérations du Conseil municipal, séance du 5 février 1889, f° 103-104, école des beaux-arts de Paris, bourses et subventions : « (…) M. Mora, sculpteur, élève de M. Falguière, dont la statue et les deux bas-reliefs (esquisse) sont d’une exécution déjà très forte, et la composition des deux bas-reliefs remarquable ; il y a lieu de lui accorder une bourse de 1500 francs (…) ».


(5) In Laux Frédéric sous la direction de, Mémoire de pierre de la Grande Guerre, Les monuments aux morts de Bordeaux et de la métropole, Ed. Le Festin, Archives Bordeaux Métropole, 2019


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